Attentat d’Annecy du 8 Juin 2023 : Réflexions sur les Technologies pour la Sécurité
DOI 10.5281/zenodo.8037384
Au cœur de la Haute-Savoie, la ville d’Annecy est surtout connue pour son lac pittoresque, ses canaux sinueux et son château médiéval, évoquant une tranquillité paisible. Cependant, récemment, cet équilibre serein a été secoué par un incident de sécurité majeur qui a conduit à une introspection collective sur la préparation de la ville et la sécurité de ses habitants. Jeudi 8 juin au matin, une scène terrifiante s’est déroulée dans un parc au bord du lac d’Annecy, lorsqu’un homme muni d’un couteau a sérieusement blessé plusieurs enfants. L’individu a finalement été arrêté.
Alors que la communauté locale cherche à comprendre et à réagir à ce qui s’est passé, des questions pertinentes ont émergé sur la façon dont il serait possible d’exercer une proactivité efficace sur de tels incidents. Ainsi, dans une perspective sécuritaire la question qui revient aborde les nouvelles technologies, notamment la sécurité augmentée. Plus précisément dans son usage, amenant à s’interroger de la façon suivante : l’utilisation des nouvelles technologies pourrait-elle aider à prévenir de tels incidents à l’avenir, tout en renforçant la sécurité de tous ?
Il s’agit déjà d’une question qui prend de plus en plus d’importance à l’échelle mondiale, alors que les villes se tournent vers des technologies de pointe pour améliorer la sécurité et prévenir les crimes et les délits. Que ce soit à travers l’intelligence artificielle (IA), la vidéosurveillance intelligente, ou les systèmes avancés de reconnaissance faciale, ces outils, démontrant l’évolution d’une sécurité augmentée (Lollia, 2023) offre de nouvelles méthodes pour aborder la question de la sécurité publique.La sécurité, dans son essence, n’est pas un concept nouveau. Cependant, à l’ère numérique actuelle, elle prend un tout nouveau sens. Les technologies de sécurité, depuis longtemps confinées aux laboratoires de recherche, font maintenant partie intégrante de nos villes et de nos vies, preuve de la pervasivité (Claverie et al., 2009) de ces nouvelles technologies. L’intelligence artificielle, les capteurs de haute technologie, les drones de surveillance, la vidéosurveillance intelligente et la reconnaissance faciale sont autant de technologies qui ont été intégrées à nos systèmes de sécurité et qui font l’éloge d’une sécurité augmenté (Lollia, 2023). Elles visent à créer un environnement sûr, à prévenir les crimes et à apporter une réponse rapide et efficace en cas d’incident.
De plus, leur utilisation soulève également des enjeux complexes. Alors que certains voient en ces technologies une solution efficace pour protéger les communautés, d’autres s’inquiètent des implications potentielles pour la vie privée et des conséquences éthiques liées à une surveillance accrue due à une pervasivité sécuritaire (lollia, 2023).Cet article explore l’impact et les implications de l’intégration des nouvelles technologies de sécurité dans notre vie quotidienne, en mettant l’accent sur la situation récente à Annecy. Il aborde le débat actuel sur le rôle et la portée de la technologie dans la sécurité des citoyens, tout en mettant en avant les préoccupations éthiques, les défis et les avantages potentiels.
Il examine enfin les défis culturels et sociaux liés à l’acceptation de ces nouvelles technologies, et discute des moyens par lesquels les citoyens peuvent participer activement à la création d’un environnement plus sûr.
Les nouvelles technologies et la sécurité des citoyens
L’implémentation des nouvelles technologies de sécurité augmentées
Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies avancées, nous sommes désormais dotés d’outils qui ont le potentiel de transformer radicalement notre approche de la sécurité. Parmi ces outils, la vidéosurveillance intelligente, preuve d’une sécurité augmentée se distingue par son efficacité et ses capacités. Les systèmes de vidéosurveillance d’aujourd’hui sont loin d’être passifs. Au lieu de cela, ils sont devenus des outils interactifs qui peuvent analyser les images en temps réel et déclencher des alarmes si nécessaire. Des fonctions telles que la vidéosurveillance intelligente permettent de suivre les suspects dans la foule, d’identifier les personnes disparues, ou encore de repérer des comportements suspects. Ces systèmes peuvent également être interconnectés avec d’autres technologies pour une réponse de sécurité plus intégrée.
La proactivité et la prévention des actes criminels
Les nouvelles technologies nous permettent désormais de passer d’une approche réactive, qui consiste à réagir après qu’un incident se soit produit, à une approche proactive de prévention des actes criminels. Par exemple, les algorithmes d’IA peuvent être utilisés pour prédire des incidents en analysant des modèles de données passées. Ces prédictions peuvent permettre de renforcer la sécurité dans des zones potentiellement à risque, d’ajuster les patrouilles de police, ou même de prévenir des victimes potentielles. De même, les technologies de détection de mouvement ou d’analyse comportementale ont la possibilité d’alerter les autorités avant même qu’un acte criminel ne puisse se produire.
Le rôle humain dans la sécurité
Toutefois, il est important de noter que ces outils technologiques ne peuvent et ne devraient pas remplacer l’intervention humaine. Dans la lignée des travaux d’Evgeny Morozov, Il est important d’éviter cette approche solutionniste (Vigouroux-Zugasti, 2018) laissant penser que ces technologies peuvent résoudre à elle seule l’ensemble des problèmes sécuritaire. Ils doivent plutôt être considérés comme des outils complémentaires qui peuvent augmenter les capacités humaines dans une logique de sécurité augmentée, engageant un duo avec une prédominance de l’homme (Lollia, 2021). Les premiers intervenants, qu’il s’agisse de la police, des pompiers ou des ambulanciers, jouent un rôle crucial en matière de sécurité. Leur travail d’équipe, leur empathie et leur coordination sont des éléments que les machines même augmentées par l’IA ne peuvent pas reproduire. De plus, l’interprétation des données et les décisions finales nécessitent une supervision humaine pour éviter les erreurs ou les abus. Ainsi, bien que les nouvelles technologies puissent renforcer la sécurité, elles doivent être utilisées judicieusement et en complément de l’action humaine.
Le débat de la vidéoprotection et la sécurité des citoyens
Entre sentiment de protection et de surveillance
Il est indéniable que la vidéoprotection apporte un sentiment de sécurité accrue. Savoir que les zones publiques sont surveillées peut décourager les criminels potentiels et rassurer les citoyens. Cependant, ce sentiment de sécurité peut se transformer en un sentiment de surveillance constante, suscitant des inquiétudes légitimes concernant la surveillance de masse et la violation potentielle de la vie privée. C’est également le problème rencontré avec la géolocalisation pour la sécurité des personnes même en milieu hostile (Lollia, 2020).
Le dilemme ici réside dans le fait de trouver un juste milieu entre le besoin de sécurité augmentée et le respect de la vie privée. Si la vidéosurveillance peut aider à prévenir et à résoudre les crimes et délits, son utilisation malavisée ou excessive peut se transformer en un outil d’espionnage ou d’oppression. En France, les citoyens ont le droit d’attendre que leur vie privée soit respectée, même dans des espaces publics. Par conséquent, il est essentiel de mettre en place des règlementations claires et de garantir une utilisation responsable de ces technologies. Ce que des instances telles que la CNIL s’efforcent de faire.
Gestion des images sensibles et diffusion au grand public
Une autre question qui émerge avec l’utilisation des nouvelles technologies de sécurité est la gestion des images sensibles et leur diffusion au grand public. Dans notre monde numérique lié à l’instantanéité, les images peuvent être rapidement partagées et diffusées à grande échelle, ce qui peut avoir des conséquences graves.
La diffusion d’images choquantes ou sensibles peut non seulement traumatiser les personnes directement concernées, mais aussi choquer le public en général. Cela peut également mener à des préjugés ou à des erreurs d’interprétation. En outre, cela pose des questions sur le respect de la dignité humaine, notamment dans le cas d’images de victimes ou de suspects.
Souvent, malgré toute la bonne volonté des autorités, la suppression de ces vidéos perturbantes, comme dans le cas de la décapitation de Samuel Paty filmée à l’entrée de son établissement et diffusée sur les réseaux sociaux, prend du temps.
Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre transparence, sécurité et respect de la dignité humaine. Cela nécessite une gestion adéquate des images, des réglementations claires concernant leur diffusion et, surtout, un jugement éthique et responsable de la part de ceux qui contrôlent ces technologies tout comme des utilisateurs.
L’acceptation sociale des nouvelles technologies de sécurité
Problème culturel et perception de l’implémentation de la sécurité augmentée
Malgré les avantages évidents des nouvelles technologies de sécurité, elles rencontrent souvent une résistance culturelle et sociétale. Cette résistance peut être due à une méconnaissance des technologies, à une méfiance à l’égard de l’innovation ou à des préoccupations concernant la vie privée et la liberté individuelle.
Pour surmonter cette résistance propre au changement (Moss Kanter, 2011), il est essentiel de sensibiliser et d’éduquer le public sur les nouvelles technologies de sécurité, leur fonctionnement, leurs avantages et leurs limites. Il faut montrer comment ces technologies peuvent améliorer la sécurité sans porter atteinte aux libertés individuelles. Les citoyens doivent être informés des mesures prises pour protéger leurs données et leur vie privée, et être assurés que ces technologies ne seront pas utilisées de manière abusive.
Implication des citoyens et reconnaissance du besoin de sécurité augmentée
L’implication active des citoyens dans les initiatives de sécurité peut jouer un rôle crucial dans l’acceptation des nouvelles technologies. Par exemple, des programmes de surveillance de quartier, des applications de signalement de crimes ou des plateformes de partage d’informations peuvent aider les citoyens à se sentir plus impliqués et à comprendre le rôle que ces technologies peuvent jouer dans la sécurité.
Cette implication peut également conduire à une meilleure reconnaissance du besoin de sécurité. En participant activement à la sécurité de leur communauté, les citoyens peuvent prendre conscience des défis auxquels les forces de l’ordre sont confrontées et de la manière dont les nouvelles technologies peuvent aider à les surmonter.
L’acceptation des nouvelles technologies de sécurité nécessite donc une approche participative qui prend en compte les préoccupations des citoyens, encourage leur implication et promeut l’éducation et la sensibilisation.
En synthèse…
En synthèse, les nouvelles technologies offrent sans aucun doute des outils puissants pour renforcer la sécurité des citoyens. La vidéosurveillance intelligente, la reconnaissance faciale et l’analyse prédictive par l’intelligence artificielle peuvent toutes contribuer à créer un environnement plus sûr. Cependant, leur utilisation soulève également des défis éthiques, humains et culturels significatifs. La balance est délicate à équilibrer entre le désir d’une sécurité accrue et le respect impératif de la vie privée et des libertés individuelles.
Pour les citoyens d’Annecy, qui ont récemment vécu un événement qui a ébranlé leur sentiment de sécurité, ces questions ne sont pas simplement théoriques. Il s’agit de préoccupations très réelles qui touchent au cœur de leur vie quotidienne et de leur cohabitation harmonieuse. L’acceptation sociale des nouvelles technologies de sécurité dépendra en grande partie de la manière dont ces défis seront gérés. Il sera crucial de garantir que ces technologies sont utilisées de manière transparente, éthique et responsable.
Il est également important de souligner que l’humain reste au cœur de toute stratégie de sécurité. Malgré les avancées technologiques, l’importance du rôle humain dans la sécurité ne peut être sous-estimée. Les technologies peuvent compléter et renforcer les capacités humaines, mais elles ne peuvent les remplacer.
L’avenir de la sécurité dans nos villes dépendra de notre capacité à intégrer ces nouvelles technologies tout en respectant les droits et libertés de chaque individu. Il faudra une approche collective, impliquant non seulement les autorités de sécurité et les développeurs de technologie, mais aussi les citoyens eux-mêmes
Références :
- Claverie, B., Lespinet-Najib, V., & Fouillat, P. (2009). Pervasion, transparence et cognition augmentée. Revue des Interactions Humaines Médiatisées (RIHM)= Journal of Human Mediated Interactions, 10(2), 85‑99.
- LOLLIA, F. (2020). Organisation en milieu hostile : L’effet de la géolocalisation sur l’organisation en milieu terroriste. Revue des interactions humaines médiatisées, 20(2).
- Lollia, F. (2021). Digital transformation : A literature review of the integration of artificial intelligence into the company’s organisational strategy. An International and Interdisciplinary Perspective on Digital Transformation: The Case of Developing and Emerging Economies./Workshop international” Une perspective internationale et interdisciplinaire sur la transformation numérique”.
- Lollia, F. (2023). Implémentation des technologies de sécurité au sein des organisations et sur la voie publique : Répondre au succès des technologies de surveillance. Territoire (s) et sécurité (s) 2023.
- Moss Kanter, R. (2011). The change wheel : Elements of systemic change and how to get change rolling. Harvard Business School Marketing Unit Case, 312‑083.
- Vigouroux-Zugasti, E. (2018). Morozov Evgeny, 2014. Pour tout résoudre, cliquez ici : L’aberration du solutionnisme technologique: Limoges : Fyp éditions. ISBN 978-2-36405-115-7. 22,50 €. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 13. https://doi.org/10.4000/rfsic.3573